SONNETS

 
 

Jeunesse

Je t'ai vu vieillard telle une locomotive
Le dos en voûte peut-être mais "haut le pied"
L'enfant qui te croise s'arrête de jouer 
Ams-tram-gram et s'étonne l'âme admirative.

De ce monde que tu survoles tel un roi,
Ton regard bleu pétille et ta tête est légère,
De combien de richesses enfouies est ton mystère,
Elohim, toi qui vas plus vite que mes pas ?

J'aimerai t'arrêter et de tous tes secrets,
Cette fontaine enfouie, m'abreuver à jamais.
Cupidon, géant prodigieux au doux sourire,

Dit moi les règles de l'éternelle victoire
Que tous les deux ensemble nous partions à rire
En nous moquant les sots de nos vieilles histoires.

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Trottoirs

Au rythme de mes pas la chaleur souveraine
Dans mes anches, les chocs et mon regard curieux,
Sur le tableau du trottoir glissent tel un jeu
Les rébus à déchiffrer des existences souterraines.

Le beur amoureux avant d'embrasser sa belle
Jette le mégot sec de ses lèvres assoiffées
Qui rejoint la galette de gomme écrasée
Sur le kleenex tombé d'une poche rebelle.

Mes pas rêveurs comme l'index d'une main
Déchiffrent ce livre ouvert en l'interrogeant.
Cette page studieuse ôtée d'un calepin

Bouleversa-t-elle la vie d'un étudiant,
Notes pour la révision de son examen
Ou adresse fiévreuse d'un amour naissant...

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Voitures

En rang de canards sans cesse renouvelé
Les cartons à chaussures chantent sur la route
Les rengaines monotones que nul n'écoute
Mais qu'importe d'ailleurs puisqu'on est si pressé.

Je marche à leur côté, elles vont sans me voir,
Et mes pas égrènent une chanson d'outre mode
C'est vrai je suis d'ailleurs et n'ai le même code
Mais qu'importe si je marche sur ce trottoir.

J'ai lacé mes chaussures usées de mille pas,
Doux pèlerinages glanés de ci-de la,
Dialogues avec le ciel infimes déraisons.

Alors que vous froissez le fol tissus du vent
Vos lippes sales sur l'asphalte s'égouttant
Mes boîtes à moi, vides, restent à la maison.
 

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Matin

Au chant de l'oiseau mon corps reposé s'éveille
D'un grand lit campagnard les vieux draps tiédis
La fenêtre ouverte s'envole mon sommeil
Sur l'ardoise roule une goutte de pluie.

La scène de vie disperse son rideau rouge
La rivière de la rue s'étale à mes pieds,
Le camion démarre, le piéton bouge,
Un pavé clignote sa poussière dorée.

Le rire du soleil effleure mon visage
Puissantes les mains du ciel sculptent ses nuages
Une brise de soie caresse mes cheveux.

Comme par une vague souveraine la vigueur,
Ici maintenant, envahit mon corps en fleur
S'abandonne et respire ce ciel devenu bleu

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Soir

Poussant les nuages frileux qui s'assombrissent
Le ciel attend la mansuétude de la nuit.
Coule la douceur maternelle de la pluie
Comme les volets qu'une main prudente glisse.

Ivresse de tous les petits chocs hypnotiques
Richesses étoilées de ces infiniment rien
Aux murmures roulant sur le dos de ma main
Vos voix s'accélèrent, et le silence abdique.

Comme goinfrés des fraîches rivières célestes,
Du haut des cieux descend, et presque sans un geste,
En ma chair, la communion d'un amour sans fin.

Pendant que le frisson du vent me murmure
Son épopée ivre de lointaines aventures,
Tintinnabulent les chéneaux joueurs gamins.

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Rue des Olivettes

Rue des Olivettes, hors du temps, havre de paix,
Dans le porche oublié d'une vieille fabrique
Un rêve d'ouvrier pousse sa barrique
Sur des pavés sertis de vieil acier luisant.

Sous la vitre du café de la Poule Noire
Trompette le chiot tourne une tête pensive
Tâche blanche sur un mur en mal de lessive
Et montre au passant curieux ses jeunes dents ivoire.

Murs écaillés, ruelles étroites, herbes folles,
Au bout de son fil une salopette molle
Bouge ses jambes sur un enclot poussiéreux.

Une ménagère en fichu tire un cabas
Et l'ombre du soir nous rejoint à petit pas
Magnifier ce théâtre des esprits heureux.

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La boîte de chocolats

La boîte de chocolats, pourpre aux coins dorés,
Une page gaufrée au parfum d'amandine,
Conte une chasse sur son couvercle bombé
Comme un livre retrouvé d'histoires enfantines.

De gras destriers aux fins jarrets suspendus
Sur les verts pâturages sous un ciel d'automne
A la poursuite roide d'un lièvre éperdu
Sautent un ruisselet d'argent sans perdre personne.

Les chasseurs bottés de noir, vêtus de drap rouge,
Embouchent, leur joues gonflées comme des courges,
De mâles trompes courbes, à s'en époumoner.

Fort de rattraper leur proie, bestiole craintive,
Ils vont, pendant que la fermière admirative
S'étonne des culottes lourdes de fessiers.

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La vieille fonderie

Terrasses marbrées de flaques noires et vieux murs,
Toutes briques de crasse noble patinée,
Un patchwork de maisons aux couleurs délavées
Me regardent, endormies, par des fenêtres obscures.

Un vieux chat noir lentement passe une ruelle
Où rouille le wagonnet d'un geste renversé.
Une feuille morte tombe précipitée
Sous l'haleine d'un vent froid contre une poubelle.

Ilot vide d'ouvrage, vide de labeur,
Tes ouvriers sont partis, tu es sans ardeurs,
L'autre ville pousse sur toi ses gratte-ciels,

Celle qui empuantie, qui hurle, qui bouge,
Où sans repos clignote la lumière rouge.
Mais ne craint rien, va, tu es pour moi la plus belle.

Bruxelles, mars 2004

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Bruxelles

Sur un trottoir déchaussé, rugueux, de guingois,
Nous marchons doucement comme deux oiseaux ivres,
Le nez en l'air et un  il sur le plan d'un livre,
Dans l'étonnante Bruxelles, Sylvie et moi.

Du flot de toutes ces voitures qui arrivent
Emerge un maigre tramway de jaune vêtu.
La police dans une course éperdue
Fait la fière avec une sirène lascive.

Les maisonnettes en briques jaunes au style nouille
Les palais mastodontes à la grille qui rouille
Nous content l'histoire des antiques splendeurs.

Alors que d'une échoppe orientale fissurée,
Vendant pains, téléphones et machines à café,
S'envolent les épices de milles saveurs.

Bruxelles, mars 2004
 

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Compagnons 

Dans cette chambre où je te vois de si haut,
De briques et de brocs, de verre qui étincelle,
Cheminées froides d'usines mortes, Bruxelles,
Je pense à vous mes amis Verlaine et Rimbaud.

De cette boutique où tu achetas une arme
A l'hôtel où tu révolvera ton ami,
Je vous retrouve il y a si longtemps depuis,
Combien de temps, combien de rires et puis de larmes ?

Paul et Arthur nous étions jeunes tous les trois,
Mes frères le monde était à nous je crois
Et sans le dire le bougre a vieilli sans nous.

Prenons cette bière et buvons à la santé
De nos rêves, de nos amours, notre amitié
Mais tout le reste... que nous importe après tout ?

Bruxelles, mars 2004
 

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La brasserie Cantillon

Sous de vieilles tuiles ocres festonnées de toiles
Règne la grande cuve, martelée en cuivre,
Où le mystère ambré de la gueuze dévoile
L'odeur aigre d'un lambic roux qui enivre.

Les panses des vieux chênes reposent alignées
Et bavent une mousse sale de lait roussi.
Dans la poussière d'un grand cercle de bois gris
Se révèlent les marques blanches crayonnées.

La paix du corps assis dans une vieille salle
L'esprit calme sous une affiche surannée
Buvant nos petites gorgées de mousse pale 

Nous voici attablés le verre en main, rêvant,
Alors que passe sans un bruit entre nos pieds
Le chat du maître d'un calme pas nonchalant.

Bruxelles, mars 2004

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Les fenêtres de lumière

Au hasard de mes errances, en fin de journée,
Lorsque le riverain disparaît comme songe,
Dans la grande ville où les ombres s'allongent,
D'un calme apaisement, j'aime à me promener.

Les fenêtres se dévoilent aux façades obscures,
Rectangles de lumière, acides des néons,
Pour m'offrir, impudiques à ma contemplation,
Le mystère de leur vie : brèves miniatures.

Horloge, lustre, vase fleuri et tableau,
Porte qui s'ouvre, silhouette sous un rideau,
Forme légère immobile ou geste ébauché,

Dans ce théâtre silencieux qui m'interroge,
Si vous saviez mes doux amis depuis vos loges
Le bonheur tendre que j'ai de vous contempler.
 

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Carnac

S ur aimante, havre familial, Carnac-Plage,
Je pousse cette porte bleue où nous attend
La fine poussière d'hiver sur ton sol blanc
Et l'étalage de tes trésors d'enfants sages :

Livres poussiéreux, bol, assiettes et coquillages,
Les souvenirs dans l'ombre, l'odeur retrouvée,
Au mur ce tableau de papi à déchiffrer,
La nappe de lumière sur ton carrelage.

Loin, loin de nous, là bas, comme vent sur la peau,
Laissons le quotidien de nos petites choses, 
Goûtons la vie légère, faisons une pause,

Et vite, après avoir changé nos oripeaux,
Courons ensemble retrouver, douces s urettes,
Nos amies la plage, la mer et les mouettes.

Carnac, avril 2004

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Mer

La robe d'épousée sur le sable fuyant
Etale puis retire l'étoffe éternelle
Comme mailles diaphanes de fines dentelles
Sans cesse détricotée en doux bruissement.

Mes pieds pâles chatouillés de mille broyas
Trempés de la mousse d'un champagne électrique
S'enfoncent lourds dans la mollesse élastique
Des paillettes d'argents instables sous mes pas.

Sève qui s'enfle, explose, meurt et soupire
La mer, miroir brisé d'un souffle salé se mire
Sous le ciel fou qui l'enveloppe dans ses bras

Et l'enfant accroupi retourne avec tendresse
Le coquillage spiralé comme une tresse
Son corps rayonnant sous le vent froid.

Carnac, avril 2004

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Vanille

Comme une boule soyeuse sur mes genoux,
Es-tu une chatte ou peut-être une fille,
Tout contre moi, ma petite chienne Vanille,
Mon sac d'osselets aux poils boucletés de roux.

Alors qu'ensemble nous regardons la télé,
Tu respires, chaude et calme, ta langue rose
Comme de tendres baisers sur ma main se pose.
Nous sommes bien vois-tu, je n'ose trop bouger.

A quoi rêves-tu fillette quand je caresse
Ta tête légère et examine tes yeux ?
Peut-être aux années de ta lointaine jeunesse

Où, telle une folle courant après un chat,
Tu t'envolais, plume parfumée, souffle en feu,
Pataude glissante, vers le port de mes bras.
 

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Mon jardin

Connaissez-vous mon jardin de ses murs enclos,
Ses murs de pierres comme des dents déchaussées,
Jamais s urs jumelles, où tout croche son pied,
La fleur, la mousse, l'herbe et même l'escargot ?

Connaissez-vous mon jardin quand je m'y promène,
Lorsqu'à son nid invisible pépie l'oiseau,
Que les ombres grises s'envolent par lambeau
Et révèlent peu à peu un monde sans haine ?

Mais avez-vous donc goûté ces soirs indistincts
Et cette lumière d'or qui baigne mes roses ?...
A si vous ne connaissez pas toutes ces choses

L'odeur de la terre, la feuille sous mes pas,
L'arbre rugueux, mes découvertes à chaque fois,
Venez vous promener chez moi dans mon jardin.
 

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Je n'ai pas changé

Toujours dans l'ailleurs donc bousculé par son maître,
Le garçonnet par trop rêveur aux yeux de vent,
Me regarde du sérieux de ses douze ans,
Et me sourit, moi le devenir de son être.

Nous recueillons ensemble dans la rue ces choses
Que nous transformerons en trésors fabuleux
Fortins de cow-boys ou châteaux de Barbe Bleu
Train d'une gare miniature ou sous-marin rose.

J'aime encore l'andouille, le cidre et le fromage,
Boire toute culture et toute poésie,
Et rêver de l'averse au fond de notre lit.

J'écris toujours une histoire au coin d'une page,
Regarde trop souvent la montre à mon poignet
La même heure qui tourne. Je n'ai pas changé.

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Mes aïeuls

Lorsque je reproduis vos gestes laborieux,
Le bois à raboter, la bêche dans le champ,
Le pain épargné et le travail pour l'enfant,
Je pense encore à vous mes ancêtres les gueux.

Je recolle mes semelles si fatiguées
Et j'éteins la lumière en quittant cette pièce,
A chaque fois emplis d'amour et de tendresse
Vous me saisissez la main pour mieux me guider.

Je ne vous ai pas tous connus mais, avec moi,
Souriants et forts, plus nobles que princes ou rois,
Mieux que mes écoles m'ayant forgées l'esprit,

Nulle mort, nulle peur, que la foi et la vie,
Je vous ressens à me pousser, le c ur joyeux,
Et marche debout à vos côtés mes aïeuls.

Le poème, "Mes aïeuls", a été mis en musique par mon ami Christian Philippart. Pour écouter sa vidéo cliquer sur l'image reprise ci-dessus.